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Le monastère de Rila

Mercredi 13 février 2013

Je me lève à 7h, le vent tambourine toujours autant aux fenêtres de la chambre. Le groupe bénéficie aujourd'hui d'une heure de sommeil en plus mais, pour ma part, je n'en ai pas besoin. Je descends alors dans la salle commune où je ne tarde pas à faire la connaissance d'Alex, 45 ans. Nous trouvons un terrain de compréhension mutuelle en passant par l'italien. Lui, le maîtrise très bien me permettant de tout comprendre, en revanche l'inverse est plus difficile car mon vocabulaire est loin et je butte sur chaque mot. Pendant qu'il passe la serpillière, il me raconte son parcours atypique : les 11 mois qu'il a passés à Milan il y a deux décennies, son métier de photographe, son arrivée ici pour un mois et son désir de travailler ensuite auprès de sa femme et de ses enfants. En écoutant son histoire, le temps passe si vite que j'ai à peine le temps de lire avant de voir mes compagnons de voyage débarquer.

L'étape du jour est courte : une seule descente. Un fort vent de dos soulève un voile de flocon jusqu'à une hauteur d'un mètre dans une course effrénée vers l'infini. La piste étant large, je commence par marcher aux côtés de Laëtitia avant de lui céder la place lorsque nous rentrons dans les bois. Nous nous mettons alors en file indienne et notre "procession" s'étire. Aucune trace au sol : c'est à nous d'ouvrir la voie. Aujourd'hui muni de bâtons, je profite davantage de la pente et m'amuse. Rapidement nous surgissons de la forêt, la journée de raquette est terminée.

Ivan contacte Konstantin pour qu'il vienne nous récupérer, puis sonde notre groupe pour savoir qui désire aller aux bains chauds. Déclinant tous la proposition, il s'irrite, déplorant que nous nous déconnections tant de la nature alors que nous venons de faire corps avec elle et soulignant que c'est la "première fois en 12 ans" qu'il voit ça. Mais il faut bien des premières ...

La camionnette file vers un autre versant du massif de Rila. Régulièrement, nous entendons une sorte de couinement que nous prenons pour un son émis par Lilo dans ses rêves. Mais il s'avère que le véhicule souffre d'une avarie : une fuite d'eau. Il ne pourra aller bien loin. Nous atteignons tout en parvenant à cette évidence au restaurant du jour. Il restera là : une dépanneuse viendra le chercher et une autre camionnette sera amenée à Konstantin. Pendant ce temps, nous déjeunons d'une truite et partons en Renault Espace, à toute allure, en direction du monastère de Rila. Sur le bord de la route, le nombre de piscicultures est impressionnant.

Lacet après lacet, nous nous enfonçons dans la forêt jusqu'à ce que se révèle, à la sortie d'un énième virage, une forteresse isolée. Tout, alentour, n'est que forêt et montagne. Je comprends mieux dès lors que la culture bulgare ait pu être préservée dans ce genre de site replié, presque secret. Ce monument, inscrit à l'UNESCO, fut fondé au Xème siècle par celui qui allait devenir St Jean de Rila, l'évangélisateur du monde slave. A l'origine, il se trouvait quelques kilomètres en amont mais un incendie le réduisit à néant. Il fut donc reconstruit plus bas, à son emplacement actuel. De tous les bâtiments, la tour clocher est aujourd'hui la plus ancienne.

A la sortie du véhicule, nous faisons face à un mur particulièrement haut. Difficile de deviner la fonction du lieu saint sans connaissance de ce qu'il abrite, mais ce n'est pas notre cas. Sur la façade une banderole noire est déployée marquant le deuil du patriarche disparu en novembre dernier. Par une porte décorée, nous entrons dans le site. Quelques arcades bicolores se profilent, des pans de fresques également. A chaque pas, l'ensemble du complexe se révèle un peu plus au regard et la magie finit par opérer : que c'est splendide ! Au centre de la cour, la tour ancienne et une église aux fresques extérieures protégées sous une loggia. Autour, des bâtiments de forme carrée abritant sur 3 étages un réfectoire, une bibliothèque, 4 chapelles, près de 300 cellules et une poignée de chambres pour les hôtes du monastère. Notre visite commence par ces dernières.

Des corporations de marchands d'une même ville ont financé la construction et l'aménagement de ces pièces, en 1834 et 1835 pour deux d'entre elles. Les riches commerçants y envoyaient leurs enfants pour y recevoir une éducation ou y séjournaient gracieusement en cas de passage dans les environs. Leurs plafonds sont sculptés dans du bois : au milieu figure le soleil qui est entouré d'autres éléments décoratifs comme la vigne, symbole du christianisme. Des médaillons indiquent les villes que les marchands ont fréquentées. Les murs sont peints, les sols couverts de tapis. Des bancs font le tour de la pièce. Certaines chambres présentent également une belle collection de costumes traditionnels d'enfants et d'adultes. Celui des Rhodopes par exemple est très sombre car il vise à rappeler les tueries importantes au temps des Ottomans. D'autres salles permettent de découvrir en vrac des tapis du 19ème, du feutre dont Ivan nous explique le mode de fabrication par empilement de couches et arrosage alternativement (cf mon blog kirghize), des soieries, broderies, bracelets, ceintures ... J'ai du mal à les rattacher à une région particulière méconnaissant la géographie locale.

Passant sous les arcades du rez-de-chaussée, nous y découvrons l'alphabet glagolitique -créé par Cyrille et Méthode- basé sur les formes rondes (symbolisant l'origine de l'univers), triangles (pour la Trinité) et les croix. Un des élèves du premier des deux frères s'appuya sur cette version trop complexe pour donner naissance au cyrillique. Une plaque présente, quant à elle, le testament de St Jean de Rila apparemment difficilement traduisible et rédigé en langage ancien. Ce saint, après une période dans le monastère, se retira dans une grotte des environs en laissant son testament au clergé noir (des moines aux patriarches, ils observent des règles plus strictes que le clergé blanc des popes). Après son décès, sa dépouille fut transférée dans la capitale de l'époque : Veliko Tarnovo. Rapidement des maladies mystérieuses touchèrent Rila et les environs. Le roi accepta donc de rapatrier les reliques sur place dans l'église, ce qui fit cesser tous les maux.

Nous poursuivons la visite en intérieur tandis que les chutes de neige redoublent. Un musée de deux étages propose un grand nombre d'objets religieux ou historiques : porte en bois originale de la tour extérieure, suaires aux fils d'or, icônes peintes du 14ème au 20ème siècles dans le monastère ou provenant de Russie, armes témoignant de la présence d'une quarantaine de gardiens au 19ème siècle, 5 clés du coffre contenant le Trésor et détenues par 5 moines différents ... D'autres objets liturgiques retiennent davantage mon attention comme les Evangiles où les apôtres sont présents aux 4 coins de la couverture : Marc et son lion, Luc et le taureau (symbole du sacrifice du Christ), Matthieu et une tête humaine (humanité du Christ) et enfin Jean et un aigle (intelligence du Christ). Ivan nous explique aussi la symbolique de la croix orthodoxe : deux barres horizontales dans la partie supérieure, l'une portant l'inscription "INRI" et l'autre pour les bras, et, dans la partie inférieure, une barre positionnée en diagonale. Celle-ci rappelle que 2 personnes étaient crucifiées en même temps que le Christ : Dismas et Gesmas. La partie la plus élevée figure Dismas qui, reconnaissant Jésus, fut sauvé tandis que la partie basse représente l'aveuglement de Gesmas. Notre guide rajoute que les orthodoxes se signent à trois doigts, symbolique de la Trinité (Dieu, Jésus, Esprit Saint). Contrairement aux catholiques, leur signe de croix commence d'abord par la droite pour signifier que, comme Dismas, ils ne sont pas exempts de péchés mais souhaitent s'améliorer et se bonifier pour obtenir le salut.

Mais la plus belle oeuvre incontestablement de ce musée est une croix réalisée par le moine Raphaël. Durant 12 années, il a sculpté dans le bois de buis et de tilleul 600 personnages répartis en 36 scènes de la Bible (Ancien et Nouveau Testaments) sur les deux faces. Ce travail d'orfèvre lui valut de finir aveugle mais l'oeuvre est à couper le souffle tellement la finesse du moindre détail a été pensée. Chaque centimètre, même en dehors des 36 représentations, est finement ouvragé avec des formes entrelacées, le tout sur une hauteur d'à peu près un mètre.

Enfin, pour être exhaustif, je dois également souligner que la bibliothèque est particulièrement bien dotée même si nous ne l'avons pas visitée. Elle contient plusieurs dizaines de milliers d'ouvrages du manuscrit au livre, retraçant et conservant le témoignage d'un pan de l'histoire et de la culture bulgares.

Après les musées, nous nous dirigeons enfin vers le monastère lui-même. En entrant à l'intérieur, nous sommes absorbés par la pénombre qui enveloppe une bonne partie des fresques. Dernièrement, la Grèce a offert à sa voisine, un immense lustre qui trône au milieu du monastère. A l'entrée, les croyants achètent deux fines bougies qu'ils posent sur des luminaires dédiés : une en haut pour protéger les personnes aimées et une en bas, pour l'hommage aux défunts. L'édifice a une forme de croix avec des chapelles latérales où se trouvent à chaque fois une iconostase mais surtout les reliques de St Jean de Rila et le coeur du dernier roi de Bulgarie, celui qui a contribué à sauver les juifs de son pays pendant la seconde guerre mondiale. Le reste n'est que fresques et icônes relatant soit des épisodes bibliques, soit une hiérarchie de personnages partant de Jésus et passant par les archanges, les chérubins et les séraphins, les apôtres ... L'iconostase ne suit pas tout à fait le modèle habituel : on retrouve bien la Vierge à l'Enfant à gauche de la porte royale et Jésus adulte à droite, par contre le saint-patron de l'église, St Jean de Rila, occupe la place habituellement réservée à St Jean Baptiste. Une exception dans quelques lieux de culte.

Nous ressortons de l'église sans plus d'explications et Ivan nous donne une quinzaine de minutes pour prendre notre temps. J'aurais bien aimé que l'on détaille sommairement les fresques extérieures comme le faisait Luminita dans les merveilleux monastères de Bucovine mais ce ne sera pas le cas. En me baladant, j'ai de suite reconnu le Jugement Dernier qui occupe le plus vaste espace. En taille bien plus réduite et en hauteur, l'histoire d'Adam et Eve est retracée. Malheureusement, je n'ai pas la culture et/ou le temps suffisants pour voir et reconnaître les autres représentations mais leur nombre est impressionnant et le moindre espace est peint jusqu'aux coupoles.

Nous quittons alors le monastère, un peu à regret pour ma part tant le temps sur place a défilé vite. Heureusement que nous n'avons pas été aux bains ! La même Renault Espace nous redescend dans la vallée jusqu'au restaurant de ce midi, zigzaguant entre les nombreux cailloux tombés sur la chaussée. Nous y retrouvons Konstantin et une nouvelle camionnette orange. Impossible de la manquer même dans la brume ...

100 kilomètres nous séparent de Bansko, notre destination du jour et une station de ski de premier ordre dans le pays. Dans un premier temps, nous sommes entourés d'étendues herbeuses puis traversons brièvement la ville très moche de Blagoevgrad. Lui succèdent des montagnes couvertes d'arbres aux feuilles soit vertes, soit rousses. De quoi se croire en automne ! Enfin, un dernier massif les remplace où des arbres à feuilles caduques sont intégralement saupoudrés de neige jusqu'au moindre bout de branche, comme si la forêt était pétrifiée. Univers blanc et pur dans lequel l'esprit se perd volontiers, ébloui par tant de beauté. Je perds le fil des kilomètres, absorbé par cet environnement.

A Bansko, nous sommes hébergés dans la pension familiale d'Eva à mi-chemin entre le centre historique et la station de ski. Ce soir, nous dinerons chez elle. Laëtitia, pétrie de bonnes intentions, offre à notre hôte d'un jour une boîte de chocolats, geste fort apprécié. Voilà des petites attentions qui font la différence. De retour dans notre chambre, nous renouons avec nos jeux disputés à deux, en l'occurrence le mille bornes ce soir. N'ayant pas l'increvable, je finis par accuser la fatigue et file au lit à l'heure des poules...

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