Promenade en raquettes dans les montagnes bulgares
Le vol d'Air France qui nous conduit à Sofia est pour moi un clin d'oeil au futur voyage que je me prépare pour mai : nous passons ainsi au-dessus de la Bavière, d'Innsbruck, de Ljubljana, de Zagreb et de Belgrade. Dans quelques mois, ce sera mon parcours au sol, en train. Mais aujourd'hui, c'est un trajet rapide pour parvenir à la capitale bulgare, partiellement drapée de blanc lorsque nous amorçons l'atterrissage. Bien positionnés dans l'avion, nous voyons se profiler quelques incontournables du centre-ville peu avant de toucher le tarmac.
C'est fou j'ai vu des immeubles et des voitures qui roulent. Mes collègues avaient raison : qu'est-ce que je suis venu faire en Bulgarie ? Et dire que je ne parle que 15 mots de bulgare à tout casser. J'espère que Laëtitia va m'aider à survivre dans la contrée.
Nous retrouvons Ivan, notre guide pour la semaine, à la sortie de la zone sous douane ainsi que le reste du groupe : Patricia, Hervé et Françoise. Nous empruntons de larges artères où les inscriptions en cyrilliques côtoient celles en caractères latins sur les panneaux publicitaires et les bâtiments. Des lignes de trolleybus occupent les bords de la chaussée. Ivan nous conduit directement à l'hôtel, extrêmement bien placé, à quelques pas seulement des sites d'intérêt. Nous sommes déposés près du pont aux lions (le blason de la Bulgarie) et nous apprêtons à repartir illico pour une visite de la ville. Iossif, "75 ans depuis hier dont 4 seulement en dehors de Sofia", prend le relais d'Ivan. C'est un amoureux de sa ville et de son pays mais qui, parfois, a tendance à donner un avis personnel un peu tranché. Ses anecdotes et son humour facile rendent l'écoute particulièrement plaisante.
La visite commence par une petite marche pour rejoindre la première curiosité. L'occasion d'apprendre que Sofia, ville plusieurs fois millénaire, est une jeune capitale puisque ce statut ne fut acquis qu'en 1879, un an après la fin de l'occupation Ottomane. Par le boulevard Maria Luisa, nous aboutissons rapidement à des fontaines à partir desquelles s'élève de la vapeur d'eau. De nombreux Sofiotes y évoluent chargés de bidons ou de bouteilles pour leur consommation personnelle. Un peu comme dans un café, les gens y palabrent, viennent s'y retrouver jour après jour, s'installent dans un coin... L'édification de ce site remonte à la fermeture des bains juste en face il y a de cela plusieurs années. Il faut savoir que le pays est riche en sources thermales (700 au moins) et qu'il y en aurait une cinquantaine rien qu'à Sofia. La principale se trouve sous les bains publics mais depuis qu'ils ont baissé rideau, la municipalité a posé des canalisations qui distribuent l'eau de l'autre côté de la rue. Les gens s'y pressent. Le liquide est déversé avec un débit de 18 litres à la seconde, à une température de 47° à la sortie des bouches. L'eau aurait des vertus pour les reins mais Iossif de préciser blagueur : "cette eau peut guérir tout ce que vous voulez". Et il n'a pas tort parce qu'en mettant la main dessous, je n'avais rien à guérir et qu'en la retirant, je n'avais toujours rien. Magique ! Enfin, il nous raconte une anecdote plutôt narquoise qui précise que les gens viennent ici chercher de l'eau chaude et y ajoute simplement le café parce que c'est gratuit sachant que deux millions de retraités vivent avec moins de 100€ par mois et que le salaire moyen est de 125€ par mois.
De l'autre côté de la rue s'élève un bâtiment jaune avec des bandes horizontales rouges et aux styles éclectiques : les bains de Sofia que je viens d'évoquer. Ils ont été construits en 1913 à l'emplacement d'anciens thermes romains. Se trouvant précisément sur la source, le bâtiment n'a pas eu besoin de chauffage ni pour l'eau ni pour la bâtisse elle-même. A l'époque, il y avait une grande piscine et quatre bassins. Avec la modernisation de l'habitat individuel, les salles de bain ont progressivement fait leur apparition et entraîné d'abord une baisse de fréquentation, puis la fermeture définitive. Un temps le bâtiment a été occupé par des clochards et des drogués. Puis, il a fait l'objet d'une réhabilitation pour accueillir à terme un musée dont les pièces maitresses seront une calèche de Marie-Antoinette et une voiture Mercedes-Benz ayant couru le rallye Munich-Istanbul en 1903.
Devant cet édifice, une placette ouverte bordée à l'opposé par la mosquée Banya Bachi. Fondée en 1576, c'est la seule des 3 mosquées de la ville qui fonctionne encore aujourd'hui et de laquelle s'élancent encore les appels à la prière 5 fois par jour. La seconde a été convertie en église orthodoxe et la dernière en musée. Le minaret est distinct du reste de l'édifice. En dépit de quelques sous-entendus maladroits, Iossif nous précise que c'est un exemple de la grande tolérance des Bulgares : sur une faible superficie se concentrent cette mosquée, une synagogue, une cathédrale catholique et une autre orthodoxe.
De l'autre côté du boulevard Maria Luisa se dresse le clocheton de la halle du marché couvert. Alors que nous attendons le passage du feu au vert, je surprends une jeune maraudeuse un peu trop intéressée par notre mini-groupe. Je la garde à l'oeil jusqu'à notre entrée dans le grand marché de Sofia. Il a commencé à fonctionner en 1910-1911 et présente une charpente intérieure métallique inspirée par Eiffel nous précise Iossif. L'intérieur est occupé au rez-de-chaussée par une multitude d'échoppes vendant surtout des produits alimentaires mais pas seulement, et à l'étage par des stands de restauration. Le tout est propret et mignon. Laëtitia et moi partageons la même idée de venir se ravitailler ici ce soir. Au fond, à l'autre bout de l'allée centrale, repose la vieille horloge qui auparavant était juchée dans le clocheton, toujours à l'heure, véritable pouls de ce lieu de vie et d'échanges.
Nous ressortons par la rue Georges Washington (nom curieux pour un ex-pays communiste ...) et faisons face à la synagogue. Lorsque les Juifs furent expulsés d'Espagne sous Isabelle la Catholique, ils se dirigèrent vers l'Europe Centrale et l'Empire Ottoman où le Sultan leur offrit refuge. Puis, durant la Seconde Guerre Mondiale, la Bulgarie fut le seul pays avec les Pays-Bas à avoir sauvé ses juifs (en dehors des territoires annexés) grâce à la protection du Roi alors même qu'elle était alliée à l'Allemagne hitlérienne. En ce samedi, jour du shabbat, nous n'avons aucun espoir de pouvoir entrer dans le bâtiment alors nous écoutons la description qui nous en est faite : "un intérieur de style espagnol et très coloré".
Un peu plus bas, la cathédrale catholique est assez moderne car elle a été détruite. Notre guide la dépeint à juste titre comme "une des plus moches du monde". Enfin, je ne sais pas s'il connaît celle de Royan ?
Autre lieu de culte : l'imposante église orthodoxe Ste Nedelya, siège du métropolite de Sofia, date de 1930 et a également été reconstruite après un attentat communiste en 1930.
En remontant vers le boulevard Maria Luisa, nous aboutissons de suite à une immense place au croisement de deux artères. La statue de Ste Sofia se dresse au sommet d'une colonne fine qui accentue la grandeur du personnage. Elle tient dans ses mains un laurier symbole de paix et un hibou figurant la sagesse. Cet ouvrage a remplacé une ancienne statue de Lénine qui a fini par goûter le bitume après l'effondrement du communisme.
En face d'elle, la "petite et la grande ratatouilles" comme aime à les appeler notre guide septuagénaire. La "petite ratatouille" est le bâtiment à gauche qui abrite des instances représentatives du pouvoir ainsi qu'un centre commercial. De l'autre côté de la rue, la "grande ratatouille" comprend le bureau du Président, l'hôtel Sheraton, des habitations, des commerces et un lieu de culte sur lequel je vais revenir d'ici deux lignes. Entre ces deux édifices de style communiste, une petite église sous le niveau de la chaussée près des ruines de la ville romaine de Serdika et la maison du Parti Communiste qui abrite désormais les bureaux des 240 parlementaires.
Lorsqu'on rentre au coeur de la "grande ratatouille", on découvre avec surprise une église très ancienne : la Rotonde St Georges. C'est une église orthodoxe qui abrite de très belles fresques du 10ème au 14ème siècles encore visibles. Le narthex où nous nous trouvons et qui symbolise le corps du Christ est séparé de l'abside (symbole de l'âme du Christ) par l'iconostase, une cloison couverte d'icônes délimitant le profane du sacré, l'espace des fidèles de celui du clergé. Au milieu de cette iconostase se trouve la porte royale. La plupart du temps, on trouve sur sa gauche la Vierge et l'Enfant Jésus dans ses bras, et sur sa droite Jésus adulte et St Jean-Baptiste. Dans ce cas précis figure également à gauche le patron de l'église : St Georges. Cet édifice semble construit sur les vestiges d'une ancienne ville romaine, probablement des thermes. Elle a ensuite était convertie en mosquée puis en musée.
Nous sortons de là par une grande porte à proximité de laquelle sont positionnés deux gardes de la Présidence.
Le musée d'archéologie s'ouvre sur la même place et est hébergé dans une ancienne mosquée de la ville. Nous empruntons le boulevard du tsar Osvoboditel. Au sol, un pavé jaune, disposé en diagonale, qui vient de Hongrie et fait la fierté des habitants. Etre "né sur les pavés jaunes" signifie être un Sofiote pur jus et non un banlieusard lambda. Sur la gauche, l'église russe St Nicolas le Miraculeux dresse ses beaux bulbes vers le ciel.
Nous poursuivons sur cet axe de circulation jusqu'à l'Université de Sofia, un beau bâtiment dont plusieurs des façades sont symétriques.
Enfin, nous terminons la visite par la cathédrale Alexandre Nevski, le monument phare de Sofia. Sa construction fut décidée en 1879, un an après la libération du joug ottoman, et s'est étalée de 1904 à 1912. Sa hauteur est imposante : 48 mètres pour le dôme principal, 52m pour le clocher de 12 cloches. La principale coupole est en outre couverte d'une pellicule d'or et l'intérieur richement décoré d'ornements venant des 4 coins de la planète, de fresques magnifiques, d'autels multiples et de deux trônes sous des baldaquins. En pénétrant en son sein, nous avons la chance d'assister au début d'une cérémonie. Le clergé, habillé en noir, passe au milieu de l'assemblée et envoie sur les fidèles qui s'inclinent à son passage quelques volutes d'encens avant de regagner l'arrière de l'iconostase, le domaine sacré. Puis l'officiant réapparaît, organisant son autel puis priant dos à l'assemblée debout dans une nef. Iossif n'étant pas très fervent, les explications sont de courte durée et laissées à Ivan pour les prochains jours.
Notre guide de quelques heures nous laisse là, sur le perron de l'édifice religieux, non sans nous prodiguer quelques conseils pour rentrer à bon port.
Chacun vaque alors selon son souhait. Laëtitia et moi optons pour un ravitaillement au marché quand les trois autres personnes vont au restaurant. Remake du Pérou et d'Irlande où nous nous approvisionnions aux mêmes sources que les locaux. Combiné à une douche chaude qui nous rend un teint moins schtroumpf, il n'en faut pas plus pour bien débuter la soirée. Nous la poursuivons ensuite autour d'un jeu de société. La partie est acharnée (enfin pas toutes les manches) et je finis par l'emporter pour la première fois face à ma binôme. Ca annonce l'orage !