Face au blizzard

Dimanche 10 février 2013

Lever à une heure raisonnable, Laëtitia a une idée originale : aller faire un tour jusqu'aux sources d'eau chaude, en face des bains, pour y remplir nos gourdes. A cette heure matinale, un dimanche, le groupement de Sofiotes est déjà suffisant pour occuper toutes les fontaines. Si je me permettais un petit jeu de mot, je dirais que le site ne "désemplit" pas.

De retour à l'hôtel pour le petit-déjeuner, la serveuse nous prouve qu'elle comprend mal l'anglais (je préfère me convaincre de cela que de reconnaître que mon accent est incompréhensible) : elle se mélange les pinceaux dans le service. Je finis néanmoins par obtenir mon petit-déjeuner anglais avec -devinez quoi?- ... des concombres. Et c'est parti ! Bon il n'y a que trois rondelles alors ce n'est pas encore le moment où je vais commencer mon jeûne.

A notre sortie de l'hôtel, la neige commence doucement à tomber sur la capitale. Nous prenons la route avec Ivan, Konstantin le chauffeur et deux assistants-guides : Lilo et Alem, deux huskys siberians au pelage marron et blanc, et aux yeux bleus. Ca y est j'ai craqué en une fraction de secondes, réminiscence de mon inoubliable aventure québécoise en tant que musher.

Un long moment, la capitale et sa banlieue s'étirent de part et d'autre de la chaussée comme si elles étendaient leurs bras de béton pour mieux nous retenir. Quartiers sans caractère, uniformes, desquels la mémoire ne garde pas de trace. Soudain, à la sortie d'un village pavé, nous entamons sans transition la montée vers le massif de Vitocha. L'attention se réactive, le rendez-vous avec la nature approche. Je respire mieux. Nous nous élevons par une route enneigée bordée d'arbres, sapins et bouleaux en tête. La chaussée étant à moitié gelée, on ne compte plus les véhicules à la dérive, garés sagement sur le bas-côté le temps de poser les chaînes ou disposés en épi au milieu de la route après un dérapage non maîtrisé. Konstantin, lui, passe sans difficulté, slalomant par nécessité entre ces obstacles impromptus, rétablissant la direction en cas de dérapage. Les chasse-neige sont pourtant en action mais il doit être trop tard. A bord, Lilo et Alem viennent solliciter régulièrement leur quote-part de caresses que nous leur offrons sans rechigner.

Au bout de la route, un parking : celui du refuge d'Aleko, 1810m. C'est le pied d'une station de ski dont viennent profiter les habitants de la capitale le temps d'un week-end. Dehors, la neige tombe en abondance et nous promet une visibilité réduite alors que nous devrions monter à un mirador sur la région. A peine la portière ouverte, voilà que les chiens partent comme des flèches, avides de grands espaces. Certains modèles de raquettes suscitent le questionnement de membres de notre groupe sur des points de réglages. Aussi en voulant les chausser nous dispersons-nous avant même de nous élancer jusqu'à ce qu'Ivan nous rassemble à nouveau. Le signal est donné, c'est parti pour une semaine de raquettes !

Entretemps, la météo, capricieuse, s'est encore dégradée : le vent dévale la montagne à toute vitesse, emportant avec lui les délicats flocons dans une cascade ininterrompue. Plutôt que de prendre la sente la plus facile et abritée, nous partons vent de face et sommes immédiatement confrontés à un mur tant la pente est prononcée. Les bourrasques blanches tentent de repousser en vain notre progression, mordant sans relâche notre visage, seule partie à découvert. Quand je disais que ma victoire de la veille au jeu annonçait l'orage...

Dans ces conditions, c'est un peu "chacun pour soi" et contrairement à notre habitude, nous ne cheminons pas de concert avec Laëtitia, du moins pour la première rampe. Derrière, Ivan est loin, tentant de rameuter ses huskys en vadrouille. Françoise aussi est retardée car ses raquettes ne sont pas bien disposées. Avec Patricia et Hervé, nous poursuivons à 4 jusqu'à un second replat pour attendre et nous rassembler. L'attente est longue, le vent assaille notre dos. Les doigts commencent à se refroidir. Françoise et Ivan apparaissent tout là-bas mais j'ai trop froid aux pieds : il faut que je bouge. Je pars donc à leur rencontre. Les sensations reviennent ça fait du bien.

Réunis, nous reprenons la progression avec une visibilité réduite. Après maintes chutes anodines, Françoise s'écroule une nouvelle fois. Sans méfiance, nous nous rendons compte après quelques instants qu'elle a perdu connaissance. Ses yeux sont clos, nous l'appelons mais elle ne répond pas. Les secondes sont interminables. Puis, reprenant ses esprits, elle souhaite repartir de suite comme en l'an 40. Ivan tempère ses ardeurs. Le scénario va se répéter 1 fois, 2 fois, 3 fois ... Le temps s'est dégagé et Ivan s'est enfin décidé à arrêter les frais. Un groupe de randonneurs a déjà donné à Françoise une boisson chaude mais rien d'autre n'a été fait, aucune inquiétude chez notre guide qui n'utilise même pas son portable pour qu'on vienne la chercher.

Nous descendons par une piste bien plus plane. Pourquoi ne sommes-nous pas passés par là à l'aller ? Le même scénario se répète inlassablement : Françoise s'écroule sans prévenir, les yeux parfois ouverts mais révulsés. Nous n'y pouvons rien mais combien de temps cela va-t-il durer ?

Sur notre gauche la réserve naturelle Bistrichko Branichte : une tourbière de 2 à 3 mètres de profondeur et relativement étendue. Nous croisons de nombreuses personnes remontant à pied vers les hauteurs tandis que nous évoluons à contre-courant. La pente s'accentue légèrement, la poudreuse se fait plus profonde, nous coupons un virage et nous retrouvons bien vite sur une piste étroite. Autour de nous, l'horizon est à présent dégagé et magnifique : jeu de lumière sur les combes et les cluses immaculées, profondeur du champ visuel jusqu'à la vallée et Sofia. Nous entrons dans un couloir forestier qui nous ramène à Aleko, les conifères qui le constituent sont lourdement chargés de neige. 3 autres arrêts ont été nécessaires jusqu'à notre point de départ. Ivan peu inquiet ou inconscient promet une meilleure journée à Françoise le lendemain.

Pause déjeuner. Nous rentrons dans le refuge où règne une agitation importante : tous les skieurs sont en train de reprendre des forces en vue de la seconde moitié de journée. Contrairement aux autres personnes, nous mangeons notre propre pique-nique ce qui est un peu étrange vis-à-vis du service de restauration proposé. Heureusement pas de concombre dans l'assiette, juste un fromage genre Kiri qui ne rentrera pas dans les annales mais ce n'est pas ce qu'on lui demandait. Le reste est bon. Ivan profite du ravitaillement pour nous expliquer que certaines remontées ne fonctionnent pas en raison d'un conflit opposant le riche propriétaire des installations qui souhaite agrandir son domaine et les écologistes qui veulent protéger la réserve naturelle. Le premier s'arrange donc pour ne pas ouvrir les remontées créant une fronde parmi les habitants de Sofia. Aussi ceux-ci manifestent-ils régulièrement pour cesser d'être pris en otage dans un débat qui ne les intéresse pas plus que cela. Mais leur vue est de courte durée car le plaisir personnel quelques mois dans l'année vaut-il la peine de sacrifier un milieu fragile pour des décennies ?

Nous tombons de haut lorsqu'Ivan nous annonce le prix des forfaits : de 17€ la journée dans cette station jusqu'à 60€ ailleurs. Rapporté au pouvoir d'achat, c'est un loisir de niche. - Couchés Alem et Lilo, je ne parle pas de votre maison ! - Dès lors, il n'est pas étonnant de croiser de nombreuses personnes en train de remonter la pente à pied.

Après manger, nous nous apprêtons à reprendre la route. Au bout de quelques mètres Françoise s'affale une nouvelle fois suscitant la stupéfaction de tous les skieurs à proximité. Nous gagnons ensuite le minibus mais Ivan a perdu Lilo, partie batifoler avec un nouveau copain. 20 minutes plus tard, nous quittons Aleko et redescendons vers Sofia. Avant de rentrer dans la capitale, nous bifurquons et suivons les flancs tortueux des collines, la plupart du temps dans un couloir végétal arboré. De temps à autre, la vue s'ouvre sur une vaste plaine ou sur des sommets aux formes douces. Dans les alentours, la pomme de terre est reine. Contraste entre les champs qui s'arrêtent au pied des montagnes et le couvert forestier qui part à l'assaut des pentes. 

1h45 de transit est nécessaire jusqu'à Govedartchi, petit village niché au coeur d'une vallée encaissée. Le cadre, rural, est agréable et se prête à une nouvelle sortie en ce milieu d'après-midi. Etant très volontaires, Laëtitia et moi ressortons illico pour rejoindre Madzhare, le dernier village traversé en minibus. Le sol est glissant car la neige tassée et refroidie est devenue glace. Nous devons avoir l'air légèrement crispés les premiers mètres mais c'est parce que nous préparons incognito la nouvelle mouture d'Holiday on Ice alors il faut bien cacher notre jeu. Non loin de là, une église au toit bleu attire notre attention à l'amorce d'une nouvelle vallée. Chevaux, rouges-gorges et passants apportent un peu de vie au tableau dans lequel nous évoluons.

Le village mitoyen, Madzhare, est tout aussi paisible. Nous poussons là-aussi jusqu'à une église sur les hauteurs avant de rebrousser chemin.

Je dépose Laëtitia à l'hôtel et poursuis une vingtaine de minutes ma balade en passant devant un cimetière et deux jardins publics déserts. A la sortie du village, je fais demi-tour devant un spectacle de nuages absorbant le disque solaire déclinant. Deux éléments attirent mon attention : d'une part le fait que tous les chiens soient enfermés chez eux dans ce village (je n'aurais ainsi pas besoin de battre le record du 100m un molosse inhospitalier aux trousses), d'autre part, les avis de décès placardés sur de très nombreux portails. Ivan me précisera par la suite que la pratique est courante et qu'elle permet d'entretenir la mémoire du défunt tant que le vent laisse l'affiche accrochée.

En attendant le repas, nous nous livrons à des activités qui se répéteront jour après jour : broderie et jeux pour Laëtitia, écriture de ce carnet de voyage pour ma part. De temps à autre, j'ai bien apprécié également de la regarder une poignée de minutes à l'ouvrage, voyant petit à petit la figure prendre forme. La main est sûre et preste, l'oeil exercé. Il ne semble pas y avoir de temps morts, l'enchainement des points est fluide et efficace. Je profite également de cette soirée pour revêtir mon nouveau pull que m'a offert dernièrement Catherine. Merci, il me va parfaitement et me plait beaucoup !

Après ces instants de calme, nous entrons sans transition dans le restaurant où s'époumonent à qui mieux mieux une nuée de mioches. N'imaginez pas de jolies têtes blondes bien sages jouant calmement sur le sol. Non, nous parlons d'enfants bulgares qui piaillent à n'en plus finir sur un fond musical. Mais, vous aurez un meilleur aperçu dans un autre article de ce que cela signifie. L'assiette arrive avec au milieu du concombre. Ca tombe bien j'étais en manque ! Néanmoins, sans doute conscient de son erreur, le cuisinier a également prévu une glace alors je lui pardonne son incartade.

Nouvelle soirée autour d'une table à partager dans notre chambre un moment de détente et de divertissement. J'apprécie ces instants qui me changent de l'ordinaire. Et comme je n'ai pas remporté de partie ce soir, le ciel ne devrait pas autant nous tomber sur la tête demain.

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