Promenade en raquettes dans les montagnes bulgares
Hier soir je m'endormais à l'heure des poules sauf que, contrairement à ces vaillantes gallinacés, il me faut quasiment une grue pour me lever ce matin. Pour la première fois, c'est la sonnerie très lointaine de ma montre qui nous extirpe brusquement de nos songes d'une nuit d'hiver. Qu'est-ce qu'elle fait là celle-là, elle n'était pas dans le scénario de mon rêve normalement ? En deux secondes chrono (nettement mieux que Nicolas Cage ou Jack Bauer), je me rends compte qu'il va falloir me préparer rapidement car le petit-déjeuner est servi dans 10 minutes. Laëtitia aussi souligne d'ailleurs que j'ai failli à ma mission de réveil matin officiel. Mais tout cela ne m'extirpe guère plus de ma torpeur matinale et c'est l'esprit particulièrement embrumé que je me prépare à déguster d'excellentes crêpes, celles-là même que j'avais raté il y a 5 mois. Une fanfare d'éléphants verts et de girafes en maillot à pois aurait bien pu se présenter que je n'aurais probablement rien relevé à ce moment-là. Tout ça n'est pas bon signe car ça ne m'arrivait pas avant, signe avant-coureur que je vieillis et que je me rapproche inévitablement d'un âge vénérable que l'on n'ose plus évoquer.
Fin prêts, nous partons pour le village de Dobrinichté ou plutôt sa station de ski par une route étroite et enneigée mais superbe car, à nouveau, l'intégralité des arbres (troncs et branches) est couverte de neige. Je suppose que cette vision féérique est réelle après un café bien fort.
Aujourd'hui est une grande première pour nous tous : soit, comme Laëtitia, certains prennent le télésiège pour la première fois, soit c'est une nouveauté de ne pas le faire skis aux pieds. Chargés de nos sacs pour la journée et de nos bâtons et chaussés de raquettes, l'exercice n'est pas évident car à l'arrivée, les crampons vont se planter en premier et nous empêcher de dégager rapidement l'aire de débarquement alors que les télésièges continueront à aller de l'avant. Mais la palme de l'innovation revient à Ivan qui prend avec lui Lilo et Alem !
Laëtitia et moi nous engageons les premiers, nous asseyons et fermons le garde-corps de sécurité. C'est parti ! Derrière les machines sont tout de même arrêtées pour que nos compagnons à 4 pattes prennent place : elle sur les genoux d'Ivan et lui sur le siège voisin. Ils vont être sages tout du long. Patricia et Hervé puis Françoise et Konstantin embarquent également sans problème. Première fois que le chauffeur nous accompagne partiellement.
La montée se passe bien : 3 kilomètres paisibles et sans vent pour nous glacer dans un couloir dégagé. Le moment le plus délicat approche : la descente. Mais là encore tout est maitrisé avec brio : retenant le télésiège, nous ne tombons pas ni ne nous faisons pas emporter. Le baptême du feu est réussi, félicitations à ma binôme ! Ivan, lui, s'affalera avec Lilo car elle ne se sera pas levée à temps. En contrebas, le regard est attiré par des monts et des collines partiellement noyés dans une mer de nuages. Une carte postale ! Positionné juste après le précédent, le second télésiège s'avère plus long et plus désagréable car la banquette est mouillée. Par contre, par chance, nous n'aurons pas l'occasion de jouer un remake des Bronzés : "Etoile des neiges ...". Dans la file descendante, une dizaine de télésièges consécutifs sont occupés par des poubelles volumineuses. Vision plutôt inhabituelle et décalée pour le skieur. Je trouve cette "procession" rigolote et improbable.
Terminus, tout le monde descend ! Devant nous se dresse le refuge de Bezbog, 2645m. Le plafond nuageux est bas. Pour voir s'il se lève, nous nous installons quelques minutes dans le refuge. A notre sortie, la situation n'est guère terrible et laisse peu de place à l'espoir : il semble qu'il ne nous sera pas permis d'atteindre un sommet de tout ce voyage décidément !
Nous grimpons une congère pour effectuer quelques pas sur un lac de 38 mètres de profondeur. Là encore ce n'est qu'une surface plane recouverte de neige. Puis, nous nous apprêtons à redescendre jusqu'à notre point de départ par la forêt et un peu de piste. Notre cheminement débute par du hors-piste dans la poudreuse mais à découvert. A travers un début de bois, nous rejoignons le sillon tracé par la remontée mécanique et le suivons un moment, étonnant ainsi une partie des "passagers" par les instruments étranges que nous avons aux pieds : les surfs sont plus fréquents dans ce couloir. Toujours muni de bâtons, je "vole" presque à la même vitesse que Laëtitia et Ivan, seulement retenu par une crainte de réveiller une vieille douleur à un genou. Parfois même, je parviens à les suivre. Ce n'est plus la galère de l'autre jour mais définitivement un plaisir !
Nous finissons par retrouver les pistes et, avec elles, nos deux huskys qui ont suivi leur propre voie. Comme les jours précédents, j'en profite pour jouer avec Lilo et passe un moment exceptionnel quoi qu'un peu égoïste vis-à-vis de ma binôme. Je cherche à attraper la jeune chienne, lui cours après et quand (rarement) je l'atteins, lui donne une caresse. Finissant par fatiguer à force de faire les fous, nous marquons une pause et elle vient se coucher sur mes jambes. Je revis des instants privilégiés du Canada et suis ravi d'atteindre une telle complicité avec les huskys en général. Ivan, surpris et ne sachant pas que j'avais fait du traineau, plaisante en me disant que s'il y avait un bébé, il l'enverrait à Paris sans hésiter. Un compliment qui me fait bien plaisir. Je lui explique donc mon expérience québécoise.
Nous voici revenus au niveau du changement de télésièges. Nous entrons dans la forêt pour ne plus en émerger qu'au bas de la station. Les conifères laissent la place aux érables, mélèzes, épicéas, bouleaux. Le couvert se fait ainsi plus clairsemé d'où une clarté accrue. Nous sommes seuls avec la nature pour une rencontre ressourçante. Seul le crissement de la neige sous les raquettes parvient à nos oreilles, une mélodie apaisante dans ce genre de voyage ou de promenade. Nous surgissons au bout de quelques dizaines de minutes au bas des pistes. Fin de la descente. J'y retournerai bien ... Au moins, mon esprit y est encore.
Pour le pique-nique, nous ne trouvons pas de place à l'intérieur et allons par conséquent sur l'aire consacrée aux pieds de la remontée. Nous goûtons notamment du caviar (que je qualifierais de mousse) de carpe. Délicieux !
En camionnette, la redescente s'opère en deux temps : 1) nous rejoignons Dobrinichté pour un autre arrêt 2) nous retournons à Bansko. Dans le village au bas de la montagne, Patricia, Françoise et Ivan se rendent aux bains chauds. Laëtitia, Hervé et moi, peu enclins à ce genre d'activité, optons pour une promenade-découverte qui va nous donner l'occasion de jouer les bulgares. Déambulant dans les rues du village, nous allons dans un premier temps jusqu'à son église, le principal monument. Le clocher est bâti à part. L'intérieur est charmant pour une petite église de village entre les nombreuses fresques et une iconostase dorée. Un peu plus loin, nous sommes interpelés par des Serbes en voiture qui nous demandent le chemin pour la station de ski puisque nous sommes les seuls êtres vivants dans les parages. Se faire renseigner par des touristes français en Bulgarie, il faut le faire ... Et sans se planter en plus ! La classe. Après une boucle autour du village, Laëtitia repère la Poste où nous achetons nos timbres en bulgare dans le texte s'il vous plait. Pour peu on passerait pour des gens du cru avec tout ça ... Nous retrouvons enfin le groupe aux bains.
Quelques minutes le long de la voie ferrée étroite qui relie chaque village et nous entrons dans Bansko. Konstantin nous dépose pour une visite du centre historique à pied. Nous passons devant une fontaine et le musée d'un poète célèbre. La façade est le reflet de la technique de construction traditionnelle : un quadrillage de bois est réalisé puis dans chaque case on insère une pierre apparente avant de combler avec du ciment et de la chaux. Cette méthode a ainsi des vertus antisismiques.
A quelques pas se dresse l'église de Bansko, un ouvrage unique en son genre. Construite sous l'Empire Ottoman, elle ne peut être édifiée qu'à condition d'accueillir à la fois des chrétiens et des musulmans. Aussi, au-dessus de la porte d'entrée figurent une croix et deux croissants. A l'intérieur, il y a deux étages avec des moucharabiehs. Quant au rez-de-chaussée, les colonnes sont peintes de plusieurs teintes (vert, ocre, jaune). Le fond de l'église abrite des portraits. Les murs latéraux sont blancs car les fresques ont disparu en attendant de nouvelles. Des bancs, louables ou achetables, sont à disposition des anciens dont les familles ont les moyens de se payer ce type de siège pour s'asseoir durant la messe très longue. Une chaire est aux couleurs des murs. L'iconostase est riche de portraits et de détails comme la Ste Trinité, patronne de l'église, présente exceptionnellement à droite de la porte royale aux côtés de Jésus et St Jean-Baptiste. Les archanges figurent sur des portes latérales comme Michel et son épée de feu. Il la plonge dans les dépouilles et s'il en sort un globe avec une croix, le salut est accordé. Au sommet de l'iconostase, plusieurs Christ en croix et au-dessous un tas d'os qui, selon les versions, soit correspondrait à ceux d'Adam sous le mont Golgotha, soit rappellerait aux hommes qu'ils sont mortels. Autour de l'église, un petit couloir avec une frise et un clocher distinct.
Juste avant de sortir, Ivan attire notre attention sur quelques bracelets entremêlés aux branches d'un arbre : les martenitsa. Ils sont offerts chaque année au 1er mars en guise de porte-bonheurs jusqu'à l'arrivée du printemps. Une coutume veut qu'on le garde accroché au poignet ou épinglé à un vêtement jusqu'à ce qu'on aperçoive la première cigogne ou le premier oiseau migrateur de l'année puis qu'on l'accroche ensuite à un arbre ou le dépose sous une pierre. Ils sont fabriqués à partir de 2 fils blancs et rouges enlacés à l'infini pouvant symboliser selon les versions la longue vie et la santé, la pureté et l'amitié ou l'amour, la neige et la chaleur printanière, la paix et la vie ...
Laissés par Ivan, nous parcourons les ruelles de la ville historique avec les murs-forteresses antisismiques décrits précédemment. J'aime bien leur authenticité et cette ambiance de montagne.
Sur le chemin du retour à l'auberge, Laëtitia et moi nous arrêtons à un stand de chamboule-tout pour nous amuser un peu et introduire de la fantaisie dans ce voyage. Elle en ressort en ayant laissé 3 boîtes debout (on ne peut pas gagner à tous les jeux) mais avec un petit présent. Cet instant était si inattendu, divertissant et décalé, un point fort de notre amitié qui s'alimente sans cesse de la nouveauté.
Laëtitia décide ensuite de rester à l'hôtel et de s'y réchauffer tandis que je compte mettre à profit jusqu'aux dernières lueurs du jour pour me balader et découvrir. A travers une ruelle extrêmement commerçante (restaurants, bars, souvenirs, vêtements de sports ...), je gagne les pistes de ski que je remonte sur plusieurs centaines de mètres en suivant de plus ou moins près les oeufs. Durant cette remontée, je croise des fondeuses et fondeurs ukrainiens et russes. Puis, lors de la redescente, les lampadaires s'allument en bord de piste. Je retrouve l'agitation de la station et regagne l'hôtel. J'ai un peu faim mais, malheureusement pour moi, mes biscuits sont dans la camionnette fermée et Konstantin est introuvable. Pas de chance le seul jour où j'ai un petit creux ...
Pour le repas, Ivan nous amène dans une belle taverne traditionnelle bulgare (appelée et écrite "mehana" là-bas). Une animation musicale se prépare avec un synthétiseur et deux chanteuses qui passent de table en table. La foule est particulièrement dense dans le restaurant car ce soir c'est la St Valentin. Ici, cette fête "commerciale" revête deux aspects : la soi-disant fête des amoureux et une soirée dédiée à une beuverie. Le bruit finit par nous fatiguer un peu à la longue surtout que je n'entends pas tout le monde à table. Et puis il y a cette glace au chocolat un peu spéciale que je n'apprécie pas particulièrement mais le reste du repas est excellent et mes échanges avec Laëtitia permettent de faire passer plus agréablement le temps entre deux longs tours de service. A force d'utiliser tout mon vocabulaire bulgare pour le remercier ou le saluer, le serveur me gratifie d'une tape bienveillante sur l'épaule et d'un petit mot sympa en français au moment de partir. L'effort est toujours apprécié, j'ai déjà pu le constater à chacun de mes voyages. Un petit jeu et hop : au lit pour préparer les nouvelles aventures du lendemain. Je vous laisse la lumière ...